Pure invention

Aucune déclaration d'urgence sanitaire au Japon

Publié le 07.05.2024, 13:04 (CEST)

Au Japon, une explosion de cas de cancers attribuée aux vaccins à ARNm aurait justifié un état d'urgence. Une décision radicale si elle était réelle. Mais on n'en trouve aucune trace.

Une étude japonaise, publiée début avril 2024, montrerait une « explosion » de cas de cancer au Japon en raison des vaccins à ARNm administrés pendant la pandémie de Covid-19. A tel point que le pays aurait déclaré une « urgence nationale », prétendent des publications virales.

Ces allégations, diffusées en plusieurs langues sur Facebook et X notamment, ne sont toutefois soutenues par aucune preuve. Au contraire.

Evaluation

Aucun état d'urgence n'a été déclaré au Japon en raison de la situation sanitaire. L'étude sur laquelle s'appuient les publications présente de nombreuses limites et a été critiquée par d'autres scientifiques. Le terme « turbo cancer » n'est en outre pas reconnu dans le milieu médical.

Faits

Les publications concernées renvoient à un article publié le 22 avril dernier sur le site web anglophone amg-news.com. Selon celui-ci, le Japon aurait déclaré l'« urgence nationale » face à une augmentation de cancers dans le pays, attribuée aux vaccins à ARNm.

L'article s'appuie sur une étude japonaise montrant une augmentation « statistiquement significative » des formes de « turbo cancers » au cours de la période 2020-2022, affirme l'article.

Mais c'est trompeur. Si le Japon avait déclaré l'état d'urgence, la nouvelle aurait fait les gros titres de la presse. Or une recherche sur Google ne permet de retrouver aucun article qui le confirme dans les médias japonais et internationaux.

On ne trouve pas non plus d'annonce en ce sens sur le site web et le compte X du gouvernement, ni sur le site du ministère de la Santé.

En outre, la vaccination contre le Covid-19 est toujours recommandée dans l'archipel. Les seules nouvelles au sujet des vaccins anti-Covid publiées dans les médias japonais ces derniers mois concernent leur prix, comme l'a montré la Deutsche Presse-Agentur (dpa) dans un précédent fact-check.

Depuis le 1er avril 2024, les Japonais qui souhaitent se faire vacciner contre le Covid-19 doivent s'acquitter d'une partie des frais. Auparavant, les coûts étaient entièrement pris en charge par le gouvernement.

Une étude aux nombreuses limites

L'article d'amg-news.com ne donne aucune information permettant d'identifier l'étude japonaise. Mais il est possible de la retrouver via un autre article similaire.

Publiée le 8 avril 2024 dans la revue médicale Cureus (appartenant au groupe Springer Nature), cette étude, évaluée par les pairs, s'intitule « Augmentation de la mortalité par cancer ajustée à l'âge après la troisième dose de vaccin à ARNm acheminé par nanoparticules lipidiques (LNP) au cours de la pandémie de Covid-19 au Japon ».

Selon ses auteurs, il n'y a pas eu de surmortalité significative au Japon au cours de la première année de la pandémie (2020). Cependant, « une certaine augmentation des taux de mortalité par cancer » a été enregistrée en 2021 après la vaccination avec la première et la deuxième dose de vaccin. En 2022, des taux de mortalité nettement accrus auraient été observés « après une vaccination de masse avec la troisième dose », notamment parmi les patients atteints de cancer de l'ovaire, leucémie, cancer de la prostate, cancer de la bouche, du pharynx et du pancréas ou de cancer du sein.

L'étude suggère que ces augmentations « pourraient être dues à différents mécanismes de vaccination par ARNm-LNP et non à l'infection au SARS-CoV-2 lui-même ». Mais d'autres facteurs potentiels - omis dans les publications virales - sont également évoqués, comme une réduction du traitement du cancer en raison du confinement. Cette possibilité « nécessite une étude plus approfondie », écrivent les auteurs.

D'autres éléments limitent encore la fiabilité des résultats. « Cette étude a été réalisée à partir de statistiques descriptives provenant de sources publiques et n'a pas été validée cliniquement. D'autres études statistiques analytiques basées sur le statut vaccinal sont nécessaires », ajoutent encore les auteurs.

Critiques par d'autres scientifiques

D'autres scientifiques ont critiqué ou remis l'étude en question.

Sur le site de Cureus, les réactions ne manquent pas. Un médecin accuse notamment les auteurs de « spéculation », épinglant des données « non significatives ». Un autre souligne la baisse des taux de mortalité par cancer ajustés selon l'âge au Japon entre 2021 et 2022 et estime que « les données n'étayent pas la conclusion ».

Dans un autre commentaire, un scientifique fait remarquer que les « associations faites entre la vaccination à ARNm et l'évolution de cancers n'établissent pas de causalité ». Il ajoute que « les résultats de l'étude, bien qu'ils soulèvent des questions importantes concernant les effets potentiels de la vaccination par ARNm-LNP, doivent être interprétés avec prudence en raison des lacunes substantielles de l'étude ». Parmi ces dernières, il relève entre autres l'absence de groupe témoin.

Les auteurs ne fournissent pas non plus d'informations sur le statut vaccinal des personnes incluses dans l'étude, pointe également le blog de fact-checking TechARP.

Même si la plupart des vaccins anti-Covid administrés au Japon étaient basés sur la technologie de l'ARNm, d'autres vaccins ont aussi été approuvés. Les données de l'étude peuvent donc difficilement être utilisées pour enregistrer une surmortalité due aux seules vaccinations à ARNm.

Un terme non reconnu dans le milieu médical

Dans les publications partagées sur les réseaux sociaux, il est par ailleurs question de « turbo cancers », un terme qui n'apparaît pas dans l'étude japonaise.

Les internautes font référence au Dr Peter McCullough, un cardiologue américain. Outre-Atlantique, il est connu comme l'une des figures de proue des opposants à la vaccination anti-Covid. Bancales, ses déclarations se sont toutefois souvent révélées fausses, comme l'attestent les nombreux fact-checks réalisés à la suite de ses sorties (par exemple ici, ici ou encore ici).

Selon lui, les « turbo cancers » seraient des cancers particulièrement agressifs induits par les vaccins anti-Covid. Une théorie fermement réfutée par de nombreux cancérologues.

Sollicitée par la Deutsche Presse-Agentur, la Fondation belge contre le cancer n'a pas répondu à nos questions dans l'immédiat. Mais en Allemagne, la Société d'hématologie et d'oncologie médicale (DGHO) a confirmé à la dpa que ce terme n'avait aucune signification médicale. La DGHO n'a en outre pas connaissance d'une prétendue augmentation des cas de cancers suite à la vaccination.

(Situation au 07.05.2024)

Liens

Publications Facebook I, II, III (versions archivées I, II, III)

Publication X (version archivée)

Article publié sur amg-news.com (version archivée)

Recherche sur Google en japonais et anglais (versions archivées I, II)

Recherche sur le site du gouvernement japonais (version archivée)

Recherche sur le compte X du gouvernement japonais (version archivée)

Site web du ministère japonais de la Santé (version archivée)

Fact-check de la dpa

Article de Planet Today (version archivée)

Etude japonaise publiée sur Cureus (version archivée)

Fact-check de TechARP (version archivée)

A propos des vaccins approuvés au Japon (version archivée)

A propos du cardiologue McCullough I, II (versions archivées I, II)

Fact-checks sur des déclarations de McCullough I, II, III (versions archivées I, II, III)

Tribune de cancérologues à propos des « turbo cancers » (version archivée)

À propos des fact-checks de la dpa

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